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Pourquoi les estoniens prennent leur temps?

Virginie Giffo

Nous sommes fin novembre, et de retour en automne (un automne gris et terne), après un interlude hivernal un peu magique ! En effet, il a beaucoup neigé durant plusieurs semaines, mais les températures ont maintenant remonté, laissant la neige fondre et le vent s'engouffrer dans les grandes artères de la ville qui débouchent sur la mer Baltique. J'ai profité de ces quelques semaines pour découvrir cette atmosphère très particulière, pour redécouvrir la ville, qui est différente le jour, la nuit, et offre des panoramas changé par rapport à l'été ou l'automne. Je vous parlais du parc de Kadriorg, magnifique avec ses couleurs vives et chaudes : sous la neige ce n'est qu'une immense étendue de coton, rehaussée par le château coloré. Dans la ville, des tiges de bois installées contre les murs et sur les trottoirs préviennent du risque... de se faire transpercer par une stalactite qui pourrait tomber d'un toit ! J'ai aussi appris qu'il est assez courant pour les estoniens de laisser les poussettes de leurs bébés à l'extérieur le temps de boire un café, dans le but... d'habituer leur progéniture au froid !!

(première photo : parc de la bibliothèque nationale, derrière chez moi, seconde photo, de Camille : Parc et château de Kadriorg)

Mais ce qui m'a le plus émerveillé, c'est Pirita, la grande plage de Tallinn. Fermez les yeux et imaginez. En traversant le bois aux arbres d'une hauteur vertigineuse, qui laissent tomber des nuées de neige trop lourdes pour les branches, vous entendez déjà le vent et les vagues. Très vite, vous apercevez l'eau, masse noire et menaçante, qui contraste avec la clarté, l'opacité blanche du ciel chargé de nuages. Il ne reste que quelques mètres, un talus, et là vous découvrez ce que vous ne vouliez pas croire avant de l'avoir vu : la neige. Une immense étendue de neige, qui recouvre totalement le sable, d'un bout à l'autre de la plage, et surtout jusqu'au bord de l'eau. Un ami imaginait qu'il s'agit de l'origine des trois couleurs du drapeau estonien, bleu, noir et blanc, pour moi, c'est la rencontre de l'eau dans ses trois états physiques : gazeux, liquide et solide.

Une question m'intrigue depuis mon arrivée, pourquoi les estoniens sont-ils si lents? Je commence à m'y habituer, mais chaque fois que j'attends à la caisse d'un supermarché, mon tour de monter dans le tram, que mon verre soit rempli de bière, que le feu piéton passe au vert, etc, je me demande pourquoi. Pourquoi les estoniens sont-ils aussi lents pour tout? Il me faut préciser que ce n'est pas seulement une critique, dans un sens c'est exactement ce qu'il me fallait pour décrocher de quatre années parisiennes au rythme assez stressant : Tallinn est une ville où les gens prennent leur temps, ne sont pas stressés et ne stressent pas tous ceux qui les entoure. Durant cette période enneigée, j'y ai un peu réfléchi, et j'ai observé la façon d'agir des estoniens et des résidents de Tallinn, et cela m'a permis d'émettre quelques hypothèses. • Premier constat, avec l'hiver, les jours deviennent très courts (et ça va encore empirer !), il fait jour de 8h à 16h environ, et le soleil ne monte jamais très haut. Ça fait une drôle d'impression, les jours où je ne sors de chez moi qu'en début d'après midi, et que le soleil commence déjà presque à se coucher ! Et pour être tout à fait honnête, on se sent totalement ralenti avec si peu de soleil. À 17h j'ai déjà l'impression qu'il est 22h, alors je me mets au rythme de mes colocs, je sacrifie le goûter (concept qu'ils ne connaissent pas d'ailleurs) et dîne tôt avec eux.) • Deuxième constat, affronter le froid demande tout une organisation, et du temps. À Tallinn, tous les lieux publics, transports et maisons sont très bien chauffés, on peut sans aucun problème porter ses vêtements d'été tout l'hiver à l'intérieur. Mais dehors, il faut un manteau et des chaussures très chauds, et selon son degré de frilosité, ajouter une, deux, trois ou dix couches de vêtements intermédiaires (coucou Décathlon et Damart). Alors lorsqu'on arrive dans un magasin, un café ou un bus, il faut prendre le temps de taper ses chaussures (ce qui crée des bouchons à 10h à l'université), puis d'enlever ses gants, son bonnet, son écharpe, son manteau, etc. À l'université, la bibliothèque ou dans les cafés, il y a des porte-manteau à disposition. Même dans les boîtes de nuit, les gens laissent leur manteaux sur des cintres lorsqu'il n'y a pas de vestiaire, et personne ne semble imaginer qu'un vol pourrait arriver ! (non non, cela n'arrive qu'à moi visiblement !). Lorsqu'on s'apprête à sortir, c'est pareil : on prend le temps de s'habiller, hors de question d'attendre d'être dehors pour fermer son manteau ! • Troisième constat, quand il neige, ça glisse (et l'eau ça mouille, je sais). J'ai constaté que les estoniens marchent extrêmement lentement pour ne pas tomber, ils ne courent jamais pour attraper un tram qui va partir, c'est le tram qui attend, et qui ré-ouvre ses portes trois fois si nécessaire. Évidement, il y a des exceptions, comme ce gamin qui m'a dépassé un jour en glissant à toute allure sur une plaque de verglas (j'ai vite appris ce mot en anglais : black ice) qui courrait le long d'une rue très, très en pente (qu'il m'aura fallu presque 10 minutes pour descendre tellement j'avais peur). Cependant je n'ai aucune explication sur la lenteur des machines à café, des tireuses à bière, des feux rouges et des vendeuses des kiosques, mais disons que ces petites choses sont compensées par d'autres choses extrêmement pratiques ici : aller d'un bout à l'autre du centre ne prend pas plus de trois quarts d'heure, ou 4 € de taxi, tout se paye par carte bancaire, même une banane à 15 cents, la ville est petite, mais on ne s'ennuie jamais, et puis elle est proche de plein de chouettes autres pays à découvrir. D'ailleurs je vous laisse, je prends le bateau pour la Finlande dans une heure, direction la LAPONIE !

 
 
 

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